CLASSES D’ÂGE (anthropologie)

CLASSES D’ÂGE (anthropologie)
CLASSES D’ÂGE (anthropologie)

Toute société connaît une division tripartite entre enfants, adolescents nubiles et couples mariés. Partout, l’âge autant que le sexe définit la position, les droits et les devoirs de l’individu. Seuls les vieillards peuvent accéder à l’autorité dans les sociétés n’ayant pas une hiérarchie politique bien dessinée. Des trois groupes, celui des adolescents est souvent le plus apparent, que ce soit dans les sociétés occidentales modernes, dans certaines îles de Mélanésie ou chez les Nyakyousa de la région du lac Nyassa, où l’on ne vit en «bonne compagnie» que parmi les gens de son âge. Les villages ont pour origine les camps d’enfants qui gardent ensemble leurs troupeaux. Dès que les plus grands atteignent l’âge d’homme, le camp se ferme, se stabilise, devient un village autonome dont le chef sera le fils aîné ou le fils cadet du chef de la communauté dont il s’est détaché. Ainsi, de nouveaux villages sont constamment en voie de formation. C’est là un cas extrême. Mais il est fréquent que les jeunes gens, de la puberté au mariage, vivent ensemble, à l’écart des familles, qu’ils rejoignent un par un une fois mariés.

Classes d’âge et structures sociales

Défini comme l’ensemble des individus d’une population déterminée dont l’âge est compris entre des limites données, le groupe d’âge informel ne se confond pas avec la classe d’âge proprement dite. Celle-ci porte un nom, possède certains biens (blasons, rituels, chants), se désigne un chef, qui est chargé d’appliquer les décisions prises en commun. Ses membres accomplissent ensemble certains travaux d’utilité publique, s’amusent entre eux, se reconnaissent des obligations mutuelles, se sentent égaux et surtout solidaires dans leurs relations avec l’extérieur. Les systèmes d’échelles qu’on rencontre dans les clubs de certaines sociétés mélanésiennes (Banks Islands et Nouvelles-Hébrides) ont parfois été assimilés, à tort, aux vrais systèmes d’âge. Mais, comme Robert H. Lowie l’a montré jadis, ces échelons mélanésiens trouvent leur fin en soi; ce sont des titres honorifiques avec peu de contenu concret. Dans un véritable système de classes d’âge, les fonctions attachées aux différents échelons sont importantes pour l’ensemble de la communauté et les rapports entre les classes sont bien fixés. Une telle institution se rencontre principalement en Afrique, au sud du Sahara. Elle est présente aussi dans certaines tribus des Indiens des Plaines et du Brésil. On la trouve en Inde à l’état sporadique. Un des cas les mieux connus est celui des Masaï d’Afrique orientale. Les échelons sont ici au nombre de sept: les garçons non encore initiés (ilaiyok ); les jeunes gens ou guerriers (ilmurran ), divisés en cadets et aînés; les anciens (ilmoruak ), divisés en cadets, aînés et retraités; enfin, les vieillards (ildasati ). Chaque échelon a ses normes de comportement, ses droits et ses devoirs dans la vie publique comme dans la vie privée. Ainsi, les ilmurran cadets protègent la communauté et ses troupeaux, servent de messagers et sont responsables de l’abreuvage du bétail en saison sèche. Ils ne mangent pas de viande en public et ont une coiffure particulière ainsi que des armes qui leur sont propres. Chez les anciens, les cadets suggèrent les décisions à prendre et les aînés, depuis longtemps pères de famille, assument les fonctions de diplomates.

À l’intérieur du système, chaque nouvelle promotion s’ordonne selon l’image du village. Chez les Malinké de la haute vallée du Niger, la classe d’âge a ses gens de caste, ses griots, ses forgerons, ses esclaves de case, qui seront, comme leurs aînés dans la vie quotidienne, les interprètes des auprès des grands chefs de famille et des patriarches. Les échelons supérieurs du système ne font, dans bien des cas, que prolonger l’initiation, première étape sur le chemin qui conduit les jeunes gens à la pleine maturité sociale. On s’explique ainsi l’effacement souvent observé des degrés supérieurs. À mesure qu’une promotion s’élève dans l’échelle des grades, ses corvées diminuent, les travaux collectifs étant assignés aux plus jeunes. Qu’ils soient ou non à la tête de leur lignage, les pères de famille détiennent l’autorité. Les vieillards sortis du système n’oublient pas pour autant les liens engendrés par l’initiation. La solidarité demeure la règle entre membres d’une même promotion.

Classes d’âge et statut individuel

Il est néanmoins des sociétés où la classe d’âge demeure, durant la vie entière de l’individu, un élément important de son statut. Eisenstadt liait ces divergences au degré de spécialisation fixé par la société dans l’accomplissement des tâches d’intérêt public. Selon lui, les groupes d’âge garderaient un rôle dans l’âge mûr chaque fois que la division des tâches sociales ou politiques n’est pas très poussée. En ce cas, chaque individu, qu’il s’agisse d’activités militaires, juridiques ou autres, peut être appelé à remplir successivement telle ou telle des charges essentielles qui sont distribuées entre les classes. Mais, poursuit Eisenstadt, lorsque la plupart des services publics et notamment l’exercice du pouvoir politique sont pris en charge par des corps spécialisés, le système des classes d’âge demeure à l’arrière-plan; il n’influe sur les comportements qu’à l’intérieur de la classe et intervient presque exclusivement dans les domaines de l’instruction et du divertissement. En l’absence d’un pouvoir centralisé, il arrive, en effet, que des associations soient chargées de l’accomplissement de tâches importantes; elles assument notamment le maintien de l’ordre public. Lorsqu’une telle association existe, comme chez les Yorouba ou les Yakö du Nigeria du Sud, un droit d’entrée, toujours très élevé, en limite l’accès aux seuls hommes riches. Ceux-ci demanderont le soutien financier de leurs proches parents, en faisant valoir que la dignité nouvelle à laquelle ils aspirent concerne ceux-ci aussi bien qu’eux-mêmes et que leur propre gloire rejaillira sur tous. La parenté retrouve par ce biais une importance qu’avait effacée pendant un temps la classe d’âge.

Les systèmes de classes d’âge

Le problème, cependant, reste entier de savoir à quoi tient, passé un certain âge, la persistance, en certaines sociétés seulement, des classes d’âge. Les informations dont Eisenstadt disposait ne lui ont pas permis de distinguer clairement entre les deux grands types possibles de systèmes de classes d’âge, les systèmes linéaires , d’une part, les systèmes cycliques , d’autre part. Dans chacun de ces types, qui sont tous deux présents en Afrique orientale comme en Afrique de l’Ouest, toute promotion, formée à partir de l’adolescence, suit, au cours de son histoire, un parcours unique qui lui fait franchir des échelons successifs. Mais en régime cyclique, le nom qu’elle reçoit à son baptême suivra l’individu jusqu’au bout: ainsi, chez les Souk du Kenya, un homme de la promotion «Cuivre» sera toute sa vie désigné comme un «Cuivre». En régime linéaire, les classes successives demeurent très souvent anonymes et ne se distinguent que par le degré qu’elles ont atteint dans l’échelle des grades, si bien que la promotion changera plusieurs fois de nom au cours de son existence, pour s’éteindre définitivement avec le dernier de ses membres. Dans le système cyclique, le nom de la promotion ne disparaît au sommet que pour renaître à la base de l’échelle. Toutefois, la différence essentielle entre les deux régimes tient au mode de recrutement. En régime linéaire, une classe réunit simplement tous les jeunes gens dont on estime qu’ils sont en mesure de subir l’initiation; sa composition repose donc sur l’âge physique de ses membres. En système cyclique, une promotion groupera non pas les hommes nés approximativement entre telle et telle année, mais les fils des membres de telle promotion antérieure. Chez les Souk, par exemple, les «Cuivre» se définissent comme les fils des «Laiton», les «Roc» comme ceux des «Zèbres». Dans les deux régimes, l’institution renforce en l’exaltant la cohésion du groupe local. Mais un autre souci transparaît dans le système cyclique où, la classe du fils étant fixée d’après celle du père, la répartition entre les classes viendra toujours soit souligner, soit, au contraire, effacer la solidarité entre père et fils selon le nombre des classes en présence. Chez les lagunaires de Côte-d’Ivoire, pour lesquels la filiation se détermine d’après la ligne maternelle, la présence de quatre classes rapproche les pères des fils: les A sont les pères des C, les B sont les pères des D. Le mode de recrutement et la dialectique des rapports ainsi engendrés entre classes insufflent aux systèmes cycliques leur caractère dynamique. Il n’y a pas de contradiction entre l’ascension d’une classe (qui monte d’un échelon à chaque nouvelle initiation) et la permanence du cadre à l’intérieur duquel s’effectue cette ascension; mais toute promotion, en exerçant les fonctions assignées à l’échelon qu’elle occupe, s’efforce d’atteindre le degré supérieur où se situe la moitié rivale. L’antagonisme entre classes voisines est ainsi le ressort des systèmes cycliques, tandis que l’émulation est beaucoup moins sensible dans les systèmes de type linéaire.

On s’explique mieux, à partir de ces différences structurelles, que ne subsiste qu’en certains cas seulement la classe dans l’âge mûr: en effet, passé un certain âge, l’institution ne garde d’importance véritable que dans les systèmes de type cyclique. En régime linéaire, son rôle principal, qui est d’assurer la cohésion du groupe social, se trouve alors accompli; les aînés, de toute façon, recueilleront le pouvoir en vertu de leur statut familial, qu’ils soient chefs de lignage ou simples chefs de ménage. Il en va autrement dans le système cyclique, où la répartition des droits et des devoirs de chacun selon les échelons apparaît beaucoup plus stricte. En Afrique orientale, où les clans sont dispersés sur l’ensemble du territoire et où l’on ne trouve pas trace de pouvoir central, le système cyclique des classes d’âge fournit au moins une ébauche de cadre politique.

Obligations mutuelles et solidarité

Dans les deux systèmes, l’importance des classes d’âge se révèle être inversement proportionnelle à celle des lignages, laquelle est d’autant plus grande que la solidarité organique de ces derniers est moindre et leur extension plus limitée dans le temps comme dans l’espace. Néanmoins, la classe d’âge établit partout entre camarades de promotion une solidarité inconditionnelle qui les suivra toute leur vie. Alors que les activités qui se déroulent à l’intérieur de la famille soulignent les différences d’âge – les rapports entre frères s’établissent entre aîné et cadet, donc toujours de supérieur à inférieur –, les jeunes initiés qui ont souffert ensemble l’épreuve d’une nouvelle naissance se trouvent soudés par un lien dont la pensée occidentale parvient difficilement à concevoir l’intensité. Chacun peut tout attendre de ses camarades de promotion, et ceux-ci peuvent tout lui demander. Riches et pauvres, fils de nobles et descendants d’esclaves, les circoncis qui ont subi ensemble les épreuves de l’initiation sont en quelque mesure des jumeaux. Deux chefs de famille appartenant à la même promotion se soutiendront; si tous les deux font partie du conseil du village, ils seront solidaires et défendront les mêmes points de vue.

La réciprocité au sein du système des classes d’âge est à la fois directe et indirecte. Elle est directe à l’intérieur de la promotion, où l’individu attend de ses camarades le même appui qu’ils pourront exiger de lui; elle est indirecte (totale ) dans les rapports entre promotions voisines, les B rendant à leurs cadets C les brimades qu’ils ont jadis endurées de la part de leurs aînés A. De même, dans les rapports de parenté, le «petit frère» doit à son frère plus âgé le respect que celui-ci témoigne à ses aînés. Partout, c’est à ses compagnons de classe qu’un homme proposera telle ou telle entreprise collective. Jadis, les jeunes gens «volaient» un champ à son propriétaire en allant y effectuer à son insu sarclage ou moisson; l’intéressé devait ensuite offrir à ceux-ci un festin et des cadeaux s’il ne voulait pas perdre la face. Les propositions se sont modifiées avec les changements économiques: aujourd’hui, par exemple, un jeune homme suggérera à ses compagnons de faire l’acquisition d’un «taxi de brousse» pour le transport des voyageurs, ou d’un camion dont le chauffeur ira acheter en ville des vivres que les épouses se partageront pour les revendre au détail sur les marchés des environs.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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